Xavier Bertrand et le Minimum vieillesse : comment appauvrir encore les vieux pauvres ?

Rappelons en quelques mots ce qu’est le minimum vieillesse (appelé depuis quelques années du nom plus hygiéniste d’ASPAvoir ici) : une allocation destinée aux personnes de plus de 65 ans pauvres.

Pauvres“, qu’est-ce à dire ? Sont-ce toutes les personnes de plus de 65 ans vivant en dessous du “seuil de pauvreté” (autrement dit toutes les personnes de plus de 65 ans vivant avec moins de 681 euros par mois – seuil bas – ou moins de 817 euros par mois ?

[Article publié en 2008]

Non.

Non, quand il s’agit des plus de 65 ans, le seuil de pauvreté implicitement utilisé est inférieur (au seuil bas ((Seuil bas : 50 % du revenu mensuel médian, seuil haut : 60 % de ce même revenu.)) ).

Les vieux “pauvres” ont droit à un seuil rien que pour eux, qui fait que l’allocation qui leur sera versée leur permettra d’avoir chaque mois, en tout ((Rappelons en effet que les montants ci-dessous ne représentent pas ce que reçoivent les personnes ! Les personnes reçoivent la différence entre ce montant et leurs revenus (retraites, etc.) )) :
- pour les personnes seules, 633,13 euros ;
- pour les couples, 1135,78 euros. ((Montants : Circulaire n° 2008/45 du 12 août 2008.))

Une allocation faite au départ pour éviter les vieillesses pauvres et dont le montant ne permet pas aux vieux pauvres de dépasser, ne serait-ce que d’un euro, le seuil de pauvreté, il fallait déjà, politiquement, généreusement, l’oser.

Mais on est allé encore plus loin en 2008.

(Soulignons au passage que le montant pour les personnes vivant en couple n’est pas le montant de celles vivant seules multiplié par deux : ce calcul permet précisément de tenir compte de la seule pauvreté indépendamment d’autres critères… )

Après plusieurs épisodes (cf. cet article) où F. Fillon, X. Bertrand et N. Sarkozy ont promis, puis renié leur promesse, puis repromis, etc., on vient donc, en effet, d’atteindre un summum.

Dans le PFLSS qui vient d’être voté par les parlementaires, il est indiqué qu’aucune des “promesses de revalorisation” (sic) de ce minimum vieillesse ne sera appliquée pour les personnes pauvres en couple.

Autrement dit, les quelques dizaines d’euros de revalorisation qui, promesse de ministre, juré craché, allaient dans les années à venir combler une petite partie du décrochage de cette allocation par rapport au coût de la vie, ne seront pas versés aux pauvres vivant en couple.

(Première fois, faut-il le souligner, depuis qu’elles existent qu’une allocation sociale va évoluer différemment selon un élément n’ayant rien à voir avec la pauvreté…)

Le prétexte ? ((Des lecteurs s’interrogent sur le prétexte de l’économie budgétaire. Qu’en est-il ? D’un point de vue exclusivement économique, quel montant économisé grâce à cette mesure : si on prend le chiffre donné par le député D. Jacquat, à savoir 150 000 couples et qu’on prend la promesse de Fillon d’augmenter en 2009 le minimum vieillesse de 6,9%, on a donc grâce à cette mesure anti-vieux pauvres vivant en couple une économie d’environ 11 millions d’euros – soit autour d’1/10e du budget 2009 de l’Elysée, qui augmente cette année encore de plus de 10%…))

« Nous souhaitons cibler les plus modestes », a expliqué, la main sur le coeur, un des rapporteurs du texte, le sénateur UMP Dominique Leclerc (Indre-et-Loire).

Intéressant : le montant du minimum vieillesse est différemment calculé selon qu’on est célibataire ou en couple pour justement tenir compte de ce qu’il peut y avoir de moins coûteux dans la vie à deux.

Une fois tenu compte de ça, on est aussi pauvre (“modeste”, comme le dit Dominique Leclerc avec l’élégance feutré de l’homme qui vit dans le réel) en couple que seul.

Et bien non, donc, désormais : les couples pauvres sont moins pauvres que les personnes seules pauvres. Sociologie de sénateur.

Pour Xavier Bertrand, encore plus sensible : « L’effort consenti (note du traducteur : le versement par l’Etat d’un minima social) concerne effectivement les personnes seules, considérées comme les plus fragiles ».

Ce serait donc une question de fragilité.

Voie novatrice. Fini le critère de la pauvreté pour les minima sociaux. Voici le critère de la fragilité. Bien plus “ciblant”.

Les pauvres célibataires sont plus fragiles que les pauvres en couple. Ainsi en a décidé le Ministre. Ainsi, le Ministre dit le réel (qu’il ignore).

Audacieuse voie, sur laquelle il ne faut pas s’arrêter là. Car si vivre seul peut être un facteur de fragilité, bien d’autres facteurs, depuis le nombre d’enfants jusqu’à l’état de santé, peuvent être pris en considération.

Le Minimum vieillesse pourrait donc n’être revalorisé l’an prochain que pour les vieux-célibataires-malades-sans-enfants ; où pour les vieux-célibataires-malades-habitant-dans-des-soupentes-d’immeubles-sans-ascenseur (tous ne sont pas morts en 2003, malgré la nonchalance estivale de nombreux hauts fonctionnaires).

Et pourquoi s’arrêter là ? Le RMI pourrait n’être versé qu’aux personnes célibataires et ayant plus de 3 enfants. L’AAH aux personnes handicapées sans parents ni conjoints ni ami(e)s.

Malheureusement, Xavier Bertrand n’a pas le courage politique d’aller jusqu’au bout de ces convictions darwiniennes.

Pire, il “a développé le sens de l’écoute” (lui dixit) et affirme même que “l’exigence de solidarité doit plus que jamais guider notre action”.

Aussi, aux dernière nouvelles, a-t-il indiqué avoir “reconnu le problème” (ce serait assez shadok, ça, de créer une solution puis de la qualifier de problème ensuite, si ce n’était purement pervers, psychiatriquement parlant), et s’est “engagé à créer un groupe de travail qui rendra ses conclusions à l’automne prochain”.

Voilà les dizaines de milliers de vieux couples vivant avec 1135,78 euros par mois rassurés.

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Seize organisations syndicales et associatives se sont élevés contre “les mesures restrictives et discriminatoires que le gouvernement a introduites dans le Projet de Loi de finance de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2009 “.

A part elles, peu d’articles, de réactions, de montées au créneau.

Toutes les voix qui en 2003, à l’UMP, au PS, hurlaient au scandale de tous les vieux morts durant l’été et juraient que tout cela allait changer ? ” Plus jamais ça ! “
Où sont-elles, en ce moment, ces voix-là ? Les vieux qui meurent lentement, qui s’engluent à petit feu dans la pauvreté, qui s’éteignent de mal manger, de mal se soigner, de mal se chauffer, pas médiatiquement, pas politiquement assez rentables pour elles ?

On attendrait a minima que l’opposition parlementaire saisisse le Conseil constitutionnel et fasse valoir que la différence de traitement entre les bénéficiaires de l’allocation n’est pas fondée sur un critère – la situation familiale – en rapport avec l’objet de la loi (réduire la pauvreté).

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Une fois de plus, les vieux pauvres, la majorité d’entre nous n’en avons rien à faire. Pas de quoi mouiller sa chemise ou son esprit. Notamment pour ça, au-delà, bien au-delà des aspects financiers, que ce sont justement “les plus fragiles” d’entre nous.

Jérôme Pellissier.

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