Le “vieillissement de la population” existe-t-il ?

Quelques commentaires sur cette étonnante expression, “vieillissement de la population”

Le vieillissement de la population. L’expression fait florès.

Mais que signifie-t-elle précisément ? Tout le monde le pressent vaguement, assez pour l’employer, mais personne ne l’a jamais définie, même au sein de l’école démographique française qui pourtant s’en fait le héraut.

Le vieillissement de la population.

Est-ce qu’une population vieillit, comme un individu ?
Est-ce qu’on a une population qui naît, qui est jeune puis vieille puis meurt ? De 0 français à 0 français ?
Absurde.

Alors ?
Est-ce que cela signifie que les personnes qui composent cette population vieillissent davantage – c’est-à-dire vieillissent pendant plus longtemps (un homme du 17e siècle mourant à trente ans ne vieillissait que pendant trente ans) ?
Certainement : on le sait, je ne m’y attarde pas, l’espérance de vie a considérablement augmenté au cours du XXe siècle.
Donc, on vieillit pendant plus longtemps puisqu’on vit pendant plus longtemps.
Mais parler de “vieillissement de la population”, ce n’est pas ça.

Peut-être est-ce dû à l’évolution de ce que l’on appelle l’âge médian : celui qui sépare une population en deux : autant de plus jeunes que de plus vieux.
L’âge médian, en France, actuellement, est d’environ 38 ans.
On estime qu’au moment où il y aura, du fait de l’arrivée des personnes nées durant le baby-boom à des âges avancés, le plus de personnes dites “âgées” en France, cet âge médian sera d’environ 45 ans.
45 ans : autant de gens de moins de 45 ans que de gens de plus de 45 ans.
Autant d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes que d’adultes moins jeunes, mûrs, vieux et très vieux.

vieillissement de la population - pyramide des âges 1901
Pyramide des âges, France, 1901

Pas de quoi écrire des prophéties du style :
“En 2050, l’aspect de la société française sera radicalement modifié et elle ressemblera beaucoup plus à un hospice qu’à un gymnase-club.”

C’est pourtant ce que vient d’écrire Jacques Dupâquier, membre de je ne sais plus quelle académie, qui nous permet ainsi de faire une parenthèse dans cet article pour souligner :
que Jacques Dupâquier, ancien vice-président du conseil scientifique de l’INED (Institut National des Etudes Démographiques) a 85 ans.
Et qu’un lecteur pressé, et donc âgiste, pensera que cet âge est peut être responsable des âneries proférées par le monsieur.
Or il se tromperait. Brassens l’a justement chanté : le temps ne fait rien à l’affaire. Allez vous promener sur internet et vous découvrirez que cela fait plusieurs décennies que J. Dupâquier profère un peu partout, y compris dans des journaux d’extrême-droite, ce genre d’inepties.

Revenons à notre “vieillissement de la population”.

Signifie-t-il l’accroissement du nombre des personnes dites “âgées” ? Pour certains, c’est bien cela qu’il signifie.
Et les chiffres citées parlent alors de l’augmentation du nombre des personnes âgées de plus 60 ans.
Problème : les personnes de 60 ou 70 ans, aujourd’hui, ne sont plus des “personnes âgées”.

Quand un démographe vous parle des “personnes âgées” ou des “personnes du 3e âge” en parlant des personnes de plus de 60 ans… il vous donne une seule certitude : la population française a évolué en un siècle, lui non.

Signifie-t-il l’augmentation du nombre des personnes de plus de 75 ans, des dites “personnes âgées”, qui commencent en général vers ces âges-là, en effet, à sentir le poids des ans (à plus ou moins 10 ans selon les individus, les milieux sociaux, etc.) ?
Sans doute, mais… mais le nombre des personnes de plus de 75 ans, en 2040 par exemple, sera à peu près le même que celui des personnes de plus de 60 ans qu’il y avait en 1940. Donc, cela fait toujours à peu près le même nombre de “personnes âgées” dans la population.

Bref, le “vieillissement de la population” signifie tout et rien. La notion a surtout permis pendant des décennies à un certain nombre de démographes natalistes et nationalistes, très représentés au sein de l’INED, de menacer la population française (entendez : la population blanche française) de déclin et de décadence.

Le “vieillissement de la population” est la signature des mauvais démographes, de ceux qui emploient des expressions qu’ils sont incapables de définir.

De ceux qui parlent, par exemple, de “renversement de la pyramide”, laissant imaginer une pyramide inversée, avec extrêmement peu d’enfants et de très nombreuses personnes très âgées.

Mélange de mensonge, de propagande et de bêtise.

Ce que révèle la pyramide des âges de la France d’aujourd’hui, en comparaison avec celle de la France d’autrefois (ou, c’est presque pareil, avec celle d’un pays du tiers-monde), c’est un équilibre entre les âges et les générations.

vieillissement de la population. pyramide des âges 2019
Pyramide des âges, France, 2019

Une pyramide pyramidale, bien triangulaire, représente une population où le nombre important d’enfants par femme (qui travaillent peu, soit dit en passant) ne doit pas faire oublier le nombre très important d’orphelins. Où le nombre importants de bébés et d’enfants jeunes ne doit pas faire oublier qu’ils mouraient très nombreux avant de devenir adultes. Etc.

La plupart des nostalgiques d’une réalité démographique bien pyramidale… seraient, à l’époque, déjà morts depuis un moment…

Jérôme Pellissier – Article publié en 2009.


P.S. : le rêve des démographes français conservateurs : une pyramide des âges comme celle-ci :

Angola, pyramide des âges 2005

Cette pyramide est celle de l’Angola, pays du monde ayant la plus faible espérance de vie. Le seul avantage d’une telle pyramide : les démographes conservateurs y meurent avant de proférer autant d’inepties que leurs confrères français.

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