Quelques questions-réponses sur “les seniors”

Un échange sur le forum du site du Nouvel Obs. à l’occasion de la sortie du livre La guerre des âges.

Le 6 avril 2007, sur le forum du site du Nouvel Observateur, les internautes étaient invités à me poser des questions sur “Les seniors dans la société d´aujourd’hui”

Des questions fort pertinentes… y compris parce que certaines d’entre elles témoignent bien de cette tendance de plus en plus marquée à opposer les “jeunes” et les “vieux”, à penser que ce qui arrive aux uns est “de la faute” des autres, et à estimer que chacune de ces catégories est homogène (en général homogénement “aisés” pour les “seniors”, homogénement “en difficulté” pour les jeunes…).

Question : Un ami malien m’a dit qu’il trouvait bizarre qu'”on essaie de cacher nos vieux”, m’expliquant qu’en Afrique il est normal de s’occuper de ses parents quand ils sont grabataires. Est-ce lié à l’individualisme grandissant dans notre société ?

Réponse : Difficile de pointer une seule cause. Surtout que le constat lui-même pose question : on a parfois tendance à idéaliser la manière dont certaines sociétés considèrent et prennent soin de leurs vieux. Dans certains villages, ‘Afrique par exemple, oui, vous trouverez souvent un respect fort pour les très vieux habitants du village. Mais ces “très vieux” constituent une sorte d´exception : ce sont les quelques uns qui sont parvenus à cet âge-là !
En Europe occidentale, être vieux n´est plus exceptionnel. La majorité de nos concitoyen(n)es vivent / vivront vieux. En revanche, nos modes de vie sont très différents de ce qu´ils étaient autrefois, de ce qu´ils sont dans d´autres pays : les femmes travaillent, les enfants travaillent et vivant souvent loin de là où habitent leurs parents, les familles ne vivent plus tous ensemble dans le même corps d´habitation, etc.
Cela dit, il est clair qu´il existe socialement une forme de “masquage” de la vieillesse et des vieux, qui apparaissent à bien des égards comme indésirables : parce qu´ils montrent que nous ne sommes ni tout-puissants, ni immortels…

Question : Qu´est-ce qui oppose les générations ?

Réponse : Qu´est-ce qui les oppose ou risque de les opposer ? Vaste question… Tellement vaste que je ne peux vous répondre en quelques lignes. Déjà, en 200 pages, dans La Guerre des âges, j´ai dû synthétiser ! 🙂 Mais peut-être déjà, si l´on se posait la question de la pertinence de penser en termes de “générations”, risquerait-on moins de les opposer… Les jeunes, les vieux, les trentenaires, les seniors, etc. : est-ce que l´erreur n´est pas déjà dans la création de ces catégories, qui une fois définies et caricaturées, ne pourront plus que se sentir différentes (voire opposées aux) des autres ? Il y a quand même peu de points communs entre tous les indivdus appartenant à une même génération… si ce n´est d´être nés à peu près à la même époque.

Question : Vous soutenez que les vieux sont les boucs émissaires de la société mais ne pensez-vous pas à tous ces jeunes à qui ont refusent un emploi, à qui on refuse de faire confiance dans l´entreprise… ? Qui est le bouc émissaire de l´autre ?

Réponse : Globalement, les personnes de moins de 30 ans et les personnes de plus de 50 ans sont actuellement, vous le savez, celles qui souffrent le plus de la situation dramatique de l´emploi.
Bien souvent, l´âge est alors un prétexte : on prétexte l´inexpérience de la personne de 25 ans pour ne pas l´embaucher ; on prétexte l´âge du quinquagénaire pour le pousser vers la sortie… Insister davantage, parce que c´est le thème de mon dernier livre, sur la situation des uns… ne signifie pas ignorer ou nier celle des autres !
En revanche, sur l´aspect “bouc émissaire”, les choses ne sont pas comparables. Le “bouc émissaire”, c´est celui qu´on accuse d´être responsable de tous les maux, à qui on fait porter la responsabilité à la place des vrais responsables. Vous trouvez aujourd´hui de nombreux discours qui accuse les “vieux” – qui les accusent d´être responsables, justement, du chômage, ou des problèmes de financement des retraites, ou du déficit de la sécurité sociale, etc. Ces discours-là accusent beaucoup plus les “vieux” que les jeunes.

Question :
Bonjour, le sujet des séniors est assez peu évoqué dans la campagne et les politiques n´ont que le mot “jeune” à la bouche. Vous êtes d´accord ? Est-ce qu´il y a une charte qui se prépare du côté des asso de retraités ?

Réponse : Il est regrettable que les politiques ne parlent pas davantange, surtout, de ce qui permet d´améliorer certaines choses pour tout le monde, indépendamment de l´âge. Les problèmes d´emploi touchent fortement les moins de 30 ans comme les plus de 50. Je ne suis pas sûr qu´on règle ces problèmes par des politiques cibliées et palliatives, une fois pour les jeunes, une fois pour les “seniors”, et en donnant en effet souvent l´impression qu´on fait pour les uns aux dépens des autres.
Les questions de logement, de pauvreté, d´accès aux soins, etc., sont des questions qui doivent être traitées indépendamment de ces histoires d´âge ! Après, comme la canicule de 2003 l´a montré, vous avez des personnes qui, à cause de situations de maladie, de handicap, d´isolement social, par exemple, sont fragiles. Fragilités qui peuvent encore être accentuées par le grand âge.
Pour revenir à la question : oui, nombreux aujourd´hui sont les citoyens qui regrettent que certaines questions (liées aux retraites, au vieillissement, etc.) soient aussi absentes de la campagne.
Sur http://une-societe-pour-tous-les-ages.over-blog.com/ par exemple, vous trouverez une lettre envoyée aux candidats par plusieurs associations et collectifs.

Question :
Est-ce que les personnes âgées vivent plus mal aujourd´hui qu´avant ?

Réponse : Comment vous répondre ? “vivre mal”, “vivre bien”, je ne sais pas trop ce que cela signifie… “les personnes âgées”, je ne sais pas trop qui c´est…
Pour pouvoir répondre précisément, il faudrait évoquer de très nombreuses situations un peu plus précises…
Est-ce que les personnes âgées aisées et entourées vivent plus mal aujourd´hui qu´hier ?
Est-ce que les personnes âgées pauvres et isolées vivent plus mal aujourd´hui qu´hier ?
Est-ce que les personnes âgées malades / en bonne santé / vivant en ville / vivant dans un village / etc.
Est-ce que par “vivre bien”, une personne (âgée ou non) de 2007 perçoit les mêmes choses qu´une personne (âgée ou non) de 1907 ?

Question :
Bonjour, je sais que dans vos livres vous accusez souvent la société en général de ne pas assez prendre soin de ses vieux, mais que pensez vous de cette catégorie de seniors dont le pouvoir d´achat et les loisirs ont considérablement augmenté alors que les jeunes ont de plus en plus de mal à trouver du travail ?

Réponse : Je considère en effet que notre société ne prend pas soin des vieilles personnes qui en ont besoin… mais quand je parle des “vieilles personnes qui en ont besoin”, je ne parle pas de cette catégorie, relativement limitée, des “seniors” dont vous parlez.
C´est votre “alors que…” qui me questionne. Pensez-vous que c´est parce que des seniors (pas tous, loin de là) profitent de leur retraite et de leur patrimoine que “les jeunes ont de plus en plus de mal à trouver du travail” ?
C´est ce lien là, que vous faites peut-être, qui me paraît dangereux.
Et puis, de quels “jeunes” parle-t-on : beaucoup travaillent. Et de quels “seniors” : beaucoup sont au chômage et ne parviennent pas, passés 45 ans, à retrouver du travail…

Question :
Pourquoi pensez-vous que les personnes âgées sont les bouc émissaires de la société ? Ne valorise-t-on pas, au contraire, la sagesse du grand âge ?

Réponse : A votre première question, je ne peux pas répondre rapidement. Lisez mon livre, parcourez mon site (http://jerpel.fr) et vous verrez quels sont les discours (démographiques et économiques, en particulier) qui accusent les vieilles personnes d´être plus ou moins directement responsables de certains maux économiques ou sociaux.
J´aimerais bien penser qu’aujourd´hui, dans notre pays, on valorise la sagesse du grand âge. Je suis preneur de tous les livres, articles, discours, publicités, films, etc., qui témoignent de cette valorisation…

Question :
Bonjour, pensez-vous qu´on pourra retirer le droit de vote au-delà, par exemple, de 80 ans ? C´est une question sérieuse !
Car : 1. Ils déclinent intellectuellement, sauf exception, 2. Ils défendent comme tout le monde leurs intérêts (les retraites), alors que les politiques devraient penser d´abord au dynamisme, à l´avenir du pays, à ses jeunes. 3. Ils sont de plus en plus nombreux.
Non à une société de gérontes ! Il faudrait aussi un âge limite pour se présenter à une élection.

Réponse : Vous ouvrez des pistes très intéressantes pour l´avenir de notre démocratie.
Mais pourquoi se limiter à l´âge ?
La science doit pouvoir nous dire désormais, sans trop de risques d´erreur, en-deça de quel Quotient Intellectuel on est un peu andouille. Et retirer le droit de vote aux andouilles (qui sont de plus en plus nombreux, il paraît) permettrait aux politiques de penser d´abord au dynamisme intellectuel et cérébral du pays.
Et puis, il y a les footballeurs. Des études disent qu’à cause des “têtes”, ils déclinent intellectuellement très rapidement.
Et puis, il y aurait les jeunes, qui vont vieillir. Par prévention, on pourrait peut-être leur ôter le droit de vote avant que…

Question :
N´est-ce pas aussi un peu parce que les vieux veulent faire jeune qu´ils ne sont plus très bien intégrés dans la société ?

Réponse : J´ai tendance à penser qu´un certain nombre de ceux dont vous parlez “veulent faire jeune” parce qu’ils ont le sentiment qu´ils ne pourront rester intégré dans la société qu´en le faisant.
Mais il y a beaucoup d´injonctions contradictoires : souvent, quand les vieux “ne font pas jeune”, on leur reproche de montrer la vieillesse, et quand ils “font jeune”, on leur reproche de ne pas accepter leur âge…
Difficile pour certains de s´y retrouver !
Après, il est probable que certaines personnes seraient mieux acceptées comme adultes, vieux ou non, s´ils acceptaient de grandir…

Question :
On devient senior à quel âge ?

Réponse : Aucune idée.
Certains emploient le mot “seniors” pour qualifier des travailleurs de 45 ans !
D´autres vont parler d´une “maison de retraite” (où la moyenne d´âge est de 87 ans) comme d´une “résidence pour seniors” !
Certains disent qu’il s´agit des 50-70 ans mais Le Monde, lors d´une des premières utilisations du mot, en 1993, écrivait : << On essaie aussi de séduire les “seniors”, c´est-à-dire le troisième âge >>.
Personne n´est obligé d´utiliser ce mot, qui a beaucoup plus de “sens” en publicité qu´en sociologie…

Question :
Qu’est-ce que la psycho-gérontologie ? Merci

Réponse : Dans le livre Psychogérontologie (Masson), Jacques Richard écrit : “la psychogérontologie est la discipline qui étudie le fonctionnement psychique du sujet qui vieillit…” (heureusement qu´il ne s´arrête pas là, puisqu’on vieillit tous dès qu’on est conçu) “…et de celui qui est âgé”.
Mais à quel âge est-on “âgé ?”

Question :
Quelle sera notre espérance de vie en 2100 ? Reculer l´âge de la mort est-il vraiment une bonne chose ?

Réponse : Notre espérance de vie en 2100 : aucune idée. Vous trouverez sur ce sujet-là pas mal d´hypothèses et de travaux de démographes. Qui ont les limites de toute projection. Avant la grippe espagnole de 1918-1919, il y avait 50 millions de personnes dont on pensait qu’elles allaient vivre après 1919…
Les projections sont en général optimistes. Peut-être trop si l’on tient compte plus qu’elles ne le font des effets tabac / pollution / obésité, par exemple.
Une bonne chose ? A vous de répondre… pour vous. Personnellement, suis plutôt content de n´être pas mort et de connaître encore des personnes plus âgées que moi.
N´oublions pas que, pour le moment, au fur et à mesure que l’espérance de vie augmente, augmente aussi l’espérance de vie en bonne santé. Autrement dit, on vit plus vieux, et plus longtemps en meilleure forme.

Question :
comment se fait-il que nous n´entendions plus parler de la franchise de santé (sarkozy) répondez-moi

Réponse : Si vous tapez les mots : franchise santé sarkozy dans un moteur de recherche comme google, vous allez voir qu’on en parle pas mal en ce moment…

Question :
Vous parlez de guerre des âges, en même temps j´ai l´impression que les jeunes d´aujourd´hui s´entendent plutôt mieux avec leurs parents qu´avant. Ne serait-ce pas l´Etat qui les dressent les uns contre les autres ?

Réponse : Je parle de tout ce qui risque d´attiser la guerre des âges, en faisant croire que les intérêts des jeunes et des vieux, dans une société, ne sont pas intimement liés.
Les luttes sociales, notre histoire nous le montre, servent les citoyens, quel que soit leur âge. Et dans la majorité des familles, en effet, que ce soit entre enfants et parents ou entre petits-enfants et grands-parents, ce n´est pas la guerre ! Loin de là.

Question :
Pouvez-vous me citer un seul membre du gouvernement de moins de 50 ans ??? Elle est où l´exclusion ?

Réponse : Pourquoi 50 ans ? Est-ce l´âge de la vieillesse ?
L´âge du personnel politique masque un vrai problème : celui du non-renouvellement du personnel politique. La majorité des hommes politiques actuels l´étaient déjà il y a 30 ans (à l´époque, d´ailleurs, personne ne disait qu´on était en jeunocratie… Pourquoi ?). Le problème, ce n´est donc pas leur âge, c´est leur durée.
Autre question : vous semblez croire qu´un homme politique jeune ferait une politique “pour jeunes”, un homme politique vieux une politique “pour vieux”. Rien dans l´histoire politique de la France ne permet d´affirmer cela.

Question :
Vous dénoncez les accusations portées contre les seniors. Mais n´est-il pas vrai que beaucoup d´entre eux abusent la Sécu ? Que beaucoup votent à droite, voir à l´extrême-droite ? Qu´ils sont les premiers financeurs des fonds de pensions ? Qu´ils sont de plus en plus réac ? Bien entendu, il ne faut absolument généraliser (Ha, Lucie Aubrac et son courage politique….), mais nier une évolution sociologique de la société n´est pas très malin.

Réponse : Abusent de la sécu ?
Parce que, dans notre société, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, nous sommes plus souvent malade à 85 ans qu´à 30 ? Vous voulez dire que, la majorité des personnes atteintes de maladie d´Alzheimer, par exemple, ayant plus de cinquante ans, ils abusent ?
Votent à droite et à l´extrême-droite ? Les moins de 25 ans ont été plus nombreux que les plus de 60 à voter pour Le Pen au premier tour de 2002.
Financeurs des fonds de pension ? Les premiers financeurs des fonds de pension sont, tous âges confondus, les personnes qui ont de quoi les financer… (ce qui est rarement le cas, par exemple, des 51% des femmes françaises retraitées ayant une retraite inférieure à 899 euros par mois).
De plus en plus réacs ? Vous parlez des moins de 25 ans ayant voté Le Pen ?
Si vous ne voulez pas généraliser, ne généralisez pas.

L´heure de terminer ces échanges est arrivée. Désolé de n´avoir pas eu le temps de répondre à toutes les questions. Le débat continue sur l´internet et ailleurs…
Cordialement à toutes et tous.

Jérôme Pellissier – Article publié en 2007.

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