Malades d’Alzheimer : combien seraient-ils prêts à payer pour se soigner ?
Des chercheurs canadiens viennent de publier les résultats d’une étude (cf. ci-dessous : Patients’ willingness-to-pay for an Alzheimer’s disease medication) destinée à calculer quelles sommes les malades d’Alzheimer seraient prêts à dépenser pour se soigner – dans l’hypothèse où le coût des traitements serait donc intégralement à leur charge.
Ceux qui ignoraient sur quels types d’études et de données s’appuient et s’appuieront les démantèlements des systèmes de sécurité sociale ne l’ignorent désormais plus…
Sachant qu’existe aussi la variante de cette étude dans laquelle ce sont les aidants principaux qui ont été interrogés, et auxquelles on a donc demandé jusqu’où ils seraient prêts à payer pour soigner leur parent. Délicat.
Mais laissons de côté une minute l’aspect politique et économique. Ce n’est pas le seul qui interroge ici.
Pour les besoins de leur étude, qu’ont fait ces chercheurs : ils ont “recruté” des personnes malades d’Alzheimer, atteints donc d’une maladie incurable, pour laquelle aucun traitement n’existe actuellement ; des personnes malades “atteintes de MA légère ou modérée”, à des moments où il peut leur être difficile de bien toujours distinguer ce qui est réel, imaginaire, possible, probable, certain, hypothétique, etc.
Et à ces personnes ils ont demandé d’imaginer plusieurs scénarios centrés sur l’existence d’un médicament (imaginaire) avec des variations d’effets secondaires et d’efficacité. Une fois l’existence de ce médicament imaginée, arrivent alors les questions pour mesurer jusqu’où le patient est prêt à payer.
On ignore si ces chercheurs, une fois l’étude terminée, une fois rentrés chez eux, une fois passés à autre chose, à l’étude d’après (“Oh, dis, et si l’on demandait à des patients en phase terminale et hyper-souffrants combien ils seraient prêts à payer pour une place dans un service privé de soins palliatifs qui traiterait parfaitement bien la douleur ?!”) se sont posés la question de ce qu’il restait de cette étude, de leurs hypothèses, de leur monde imaginaire où l’on guérit d’Alzheimer, dans l’esprit des patients qu’ils ont interrogés…
Ce qu’on sait en revanche désormais, c’est la manière dont ces chercheurs, dont ces banals barbares, probablement en toute inconscience, ou tant aveuglés par leur “science” ou leur libéralisme, préparent et banalisent la barbarie, et rendent imaginables des temps à venir où les vieux malades pauvres (ceux-là que les médecins nazis appelaient les “existences fardeaux”) mourront, non soignés, rapidement. Faute évidemment d’une bonne “willingness-to-pay” [1] de leur part et de la part de leurs proches…
J. Pellissier – Article publié en 2013.
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P.S. : précisons pour éviter tout malentendu que des études sont évidemment nécessaires pour déterminer les politiques – y compris économiques – de santé. Mais qu’il n’est juste pas idéologiquement neutre d’étudier ainsi jusqu’à combien les gens pourraient payer pour se soigner plutôt que d’étudier, par exemple, combien de gens ne pourraient pas payer pour se soigner dans l’hypothèse retenue où il n’y a plus aucun système de sécurité sociale… Notons que les chercheurs qui font de telles études les placent en général sous les auspices de la neutralité scientifique – et accusent les mauvais esprit de voir le mal – ou le politique – partout…
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Patients’ willingness-to-pay for an Alzheimer’s disease medication in Canada.
Oremus M, Tarride JE, Pullenayegum E, Clayton N, Canadian Willingness-to-Pay Study Group, Raina P. The Patient [2013, 6(3):161-168]
BACKGROUND : Alzheimer’s disease (AD) is a neurodegenerative disorder highlighted by progressive declines in cognition and function. OBJECTIVES : The aim of this article is to assess whether persons with AD would support out-of-pocket payment for an AD medication ; to elicit the monthly dollar amounts they would pay.
METHODS : We recruited persons with mild or moderate AD (n = 216) from nine clinics across Canada. During one-on-one interviews, we presented our sample with four scenarios describing a medication that either treated disease symptoms or modified the course of AD ; each version of the medication was alternatively presented as having a 0 % or 30 % chance of adverse effects. For each scenario, participants indicated whether they would support paying out-of-pocket for the medication (yes/no). Affirmative responses were followed with questions asking participants whether they would pay $75, $150, or $225 (Canadian dollars) per month.
RESULTS : Levels of support (’yes’ responses) ranged from 57 % to 83 % and mean willingness-to-pay ranged from $98 to $137, depending on scenario. Participants were more likely to provide affirmative responses and higher willingness-to-pay amounts when the medication modified disease or had a 0 % chance of adverse effects. Age was inversely associated with support in three scenarios and willingness-to-pay amounts in all four scenarios. Positive associations between post-secondary education and willingness-to-pay amounts were found in three scenarios.
CONCLUSIONS : Persons with mild or moderate AD were often willing to pay out-of-pocket for AD medications. However, the mean maximum willingness-to-pay ($137) for the optimal medication scenario was lower than the average monthly cost of existing AD medications.
[1] Remarquons en passant que si le mot “willingness” ne signifie pas exactement “volonté”, il ne signifie pas non plus “capacité”. L’étude ne donne pas d’informations sur ceux qui ne pourraient pas se soigner mais bien sur jusqu’où on pourrait les contraindre à se soigner tout seuls (tout en gardant sans doute bonne conscience puisque soins il y aurait…).