Histoire illustrée de la démographie shadok (1er épisode)
” En dessous de 2,08 enfants par femme, hurlait le Professeur Shadoko, membre de l’INEDS (Institut National des Etudes Démographiques Shadoks), c’est la catastrophe : pas de “remplacement des générations”, pas de “reproduction de la population”, une population qui stagne, que dis-je, qui stagne : qui décroît, qui décline, qui vieillit, qui décade !
Femelles Shadoks, l’heure est grave, continuait-il ! Si vous persistez à ne point pondre, le territoire shadok va s’étioler, se ratatiner et l’esprit de vieillesse va s’emparer de nos enfants !”
Ce grand discours fut prononcé par le Professeur Shadoko (obsédé par le natalisme) en 1925.
Le shadokland comptait alors 40 460 000 habitants.
Quelques années plus tard, en 1939, le shadokland comptait 41 510 000 habitants. Pourtant, angoissé, affolé même, le Professeur Shadoko prononça un autre grand discours :
“Pondez, femelles Shadoks, pondez ! L’ennemi est à nos portes, plein de jeunes grands blonds ! Si vous ne pondez pas plus de 2,08 oeufs, dans quelques années, nous serons envahis, piétinés, vaincus !”
Puis ce fut la guerre.
Et le Professeur Shadoko, qui n’y avait rien compris, écrivit :
” Comment veut-on qu’un peuple comptant tant de shadoks âgés puisse se défendre, comment un peuple vieillissant peut-il non seulement maintenir son expansion, mais s’adapter à la marche du monde ? Comment peut-il vouloir et réaliser le progrès ? Comment peut-il simplement persister dans son être ? Un organisme qui vieillit, c’est un organisme qui se laisse envahir par des cellules inutiles […] La terrible défaillance de 1940, plus encore morale que matérielle, doit être rattachée en partie à cette redoutable sclérose. [1] »
Puis vint le baby-boom shadok et le Professeur Shadoko se calma un petit peu.
Mais pas longtemps : il réalisa un jour que tous ces jeunes shadoks allaient vieillir maintenant qu’il n’y avait plus de guerres ou de grandes épidémies pour les scouiser avant qu’ils ne soient plus “productifs et utiles”.
Et sous ses yeux effrayés, le baby-boom déjà était un papy-boom : il voyait naître des vieux !
Alors le natalisme le reprit et il reprit son discours : “Femelles Shadoks, il faut pondre plus ! Il faut…”
Il y eut bien alors quelques autres démographes shadoks pour l’interrompre quelques instants et dire que c’était irresponsable : car si l’on pondait plus pour qu’il y ait plus de nouveaux-jeunes que de vieux, ces nouveaux-jeunes, ils allaient aussi vieillir, et ça ferait encore plus de vieux. “Eh bien, on pondra encore plus après”, répondit le Professeur.
Dans l’esprit du professeur Shadoko, le baby-boom devait donc être suivi par un super-baby-boom, lequel serait suivi par un super-super-baby-boom, etc. Ainsi, toujours plus de jeunes que de vieux !
A l’infini shadok, situé quelques siècles plus tard, le territoire shadok croulait sous les shadoks, qui ne pouvaient même plus respirer. mais peu importait au Professeur Shadoko, qui ne voyait pas si loin, selon le Grand Principe : “La prévision est une science difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. Nous devons donc l’appliquer exclusivement au passé.”
Puis le baby-boom shadok se calma.
En 1975, le shadokland comptait 52 600 000 d’habitants.
Voilà qui aurait dû apaiser le Professeur. Mais non. Le professeur est un visionnaire : il les voit, ils les voit arriver, ils sont jeunes, des hordes de jeunes, moins grands et moins blonds que les ennemis d’autrefois, à vrai dire, pas du tout blonds, “ce serait même l’inverse”, dit le Professeur. Et de reprendre aussitôt, de plus belle, son discours :
“Pondez ! Pondez, femelles shadoks ! Plus de 2,08 oeufs, je vous le dit ! Le désert démographique nous guette ! Et alors, alors, Shadoks inconscients, les Mouzouls vous envahiront !”
Le désert guette, hurla-t-il encore en 1985, tandis que le shadokland comptait 55 157 303 habitants.
Le désert guette, hurla-t-il encore en 1995, tandis que le shadokland comptait 57 752 535 habitants.
Le désert guette, hurla-t-il encore en 2005, tandis que le shadokland comptait 60 702 284, 6 habitants.
Etc.
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Tous les nombres cités dans cet article (à part la virgule du dernier, obligatoire en démographie shadok) sont bien entendu ceux de la population de la France, qui ne cesse de croître depuis des décennies…
Comment est-il possible que des démographes n’aient cessé pendant des décennies de crier au “non renouvellement” de la population dans un pays où la population ne cessait d’augmenter ?
Une histoire de Shadok, je vous le disais.
Affaire à suivre… au prochain épisode.
[Article paru en 2005]
J. Pellissier.
[1] La citation, à part le mot “shadoks”, à remplacer par le mot “hommes”, est du démographe Alfred Sauvy, in : Alfred Sauvy & Robert Debré, Des Français pour la France, le problème de la population. Paris : Gallimard, 1946
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